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Un mot peut caractériser l'Histoire de la Pensée
de 1600 à nos jours. Ce mot c'est "EXCÈS".
- Chez les Grecs l'excès, "l'hybris",
la démesure était considérée comme la racine de toutes les fautes et la vertu
suprême était la modération qui accepte les limites humaines.
- Certes, la Révélation évangélique
avait apporté un bonheur infini et les voûtes des cathédrales s'élancent à la
verticale mais l'ensemble reste harmonieux, équilibré tout comme le chant
grégorien qui l'emplit. La
divinisation de l'homme ne supprime pas l'humilité mais la suppose.
- Désormais, et dans tous les
domaines, les excès dans un sens vont provoquer des excès dans l'autre. La
raison ne vaut rien dit l'un, la raison peut tout dit l'autre. La Bible seule
dit Luther, pas de révélation disent les
rationalistes et ainsi de suite.
Avec une naïveté désolante, les modernes vont prétendre rejeter toutes les
traditions du passé, alors que, pendant des siècles, tout étudiant devait faire
ses preuves en rédigeant des COMMENTAIRES des œuvres anciennes.
Descartes ne veut "pas savoir s'il y a eu des hommes sur la terre avant lui".
En 1991, dans un Centre de théologie, un professeur proclame : "tous les cours
qui datent de plus de trois ans, mettez-les dans une armoire, ils ne valent plus
rien". Certes il ne faut pas accepter une thèse parce qu'elle est ancienne, mais
il est encore plus stupide de se soumettre à une mode parce qu'elle est
nouvelle.
Plus profondément, ces quatre siècles vont réduire le champ de l'activité
humaine à l'une des trois fonctions que nous avons énumérées (voir
Épistémologie 1°e : distinguer les trois domaines). Pendant ces quatre
siècles, des hommes ne vont plus contempler le monde mais le dominer, le violer
et même avec Nietzsche et Sartre refuser toute idée d'ordre. (TP8
et TP11)
Sur ce point comme sur d'autres, la postmodernité récente conteste ces quatre
siècles de démesure. La force du mouvement écologiste nous invite de nouveau
à contempler, avant de vouloir dominer.
I. CINQ RÉACTIONS
L'origine de ces excès peut sans doute être recherchée dans des réactions
justifiées par d'autres excès. Prendre conscience de cette "loi" de l'Histoire
de la Pensée au cours des quatre derniers siècles peut nous inviter à la mesure
dans nos désaccords.
1/ Contre les universitaires
Vers 1600, les Universités sont devenues stériles et elles condamnent toutes les
idées nouvelles. Descartes, Pascal et beaucoup d'autres proposent leurs
découvertes en dehors du cadre universitaire. De nos jours également, il ne faut
pas se contenter de lire les ouvrages écrits dans le "latin" contemporain, je
veut dire le langage ou le jargon universitaire... Il est peut-être plus
difficile qu'on ne le pense de sortir de la pensée "correcte", de la pensée
"unique" c'est-à-dire de la pensée dominante acceptée par (presque) tout le
monde...
2/ Contre les autorités ecclésiastiques
Très souvent, les philosophes de la période moderne s'opposent également aux
autorités ecclésiastiques. L'épisode le plus célèbre de cette opposition est
l'affaire Galilée. Ceux qui considèrent cette affaire comme importante peuvent
lire le dossier qui y est consacré dans la Documentation Catholique du 20.12
1992 (p1071 à 1074) ou lire
Galillée-Académie Pontificale des Sciences)
ÉVANGILE OU CHRISTIANISMES
A cette époque et de nos jours, on trouve non seulement des gens sans culture
mais même des écrivains qui sont incapables de distinguer le comportement ou
les déclarations plus ou moins officielles d'un dignitaire ecclésiastique et la
Révélation évangélique elle-même. Bien sûr, la communion avec la Tradition
Ecclésiale est indispensable pour garder l'équilibre vivant de la foi chrétienne
mais la manière traditionnelle de lire les Évangiles dans les liturgies
chrétiennes montre justement que ce sont ces quatre évangiles qui constituent la
référence pour tous et pour chacun. C'est justement ce que Jean-Paul II a
rappelé dans son encyclique "La splendeur de la Vérité" (du 5.10.93). Cette
possibilité pour chaque chrétien de lire personnellement les évangiles n'enlève
rien à la responsabilité des autorités ecclésiastiques des siècles passés qui
ont voulu imposer comme une évidence ce qui doit être le choix
d'une confiance. Elles ont présenté la toute puissance de Dieu en occultant
l'Évangile de la miséricorde. De nos jours, d'autres trahisons de l'Évangile
sont plus fréquentes.
Freud est cité au lieu de Jean. L'effort qui définit l'homme est condamné
au profit de l'abandon à l'instant et à l'instinct. Aujourd'hui donc plus encore
que jadis, se référer au texte des quatre Évangiles devient indispensable.
3/ Contre le Naturalisme
Les réactions qui s'opposent aux autorités ecclésiastiques sont très connues. Ce
qui l'est moins ce sont les réactions à ce naturalisme et à ce rationalisme. Ces
réactions sont elles aussi excessives.
Dès les premières vagues de la réduction naturaliste avec Descartes qui veut
tout réduire à la nature, à la raison, aux mathématiques, il y a la réaction de
Pascal qui disqualifie le naturalisme mais qui succombe un peu à l'excès
inverse en méprisant par trop l'intelligence alors qu'il est lui-même un génie
multiforme.
L'excès antirationaliste sera encore plus net chez Kierkegaard. Il s'oppose au
délire hégélien du rationalisme en proposant le fidéisme. (TP8)
4/ Contre la modernité
Même chez les non-chrétiens, la post-modernité qui se manifeste depuis
1980 semble menacée par un anti-intellectualisme qui n'est pas plus
sain que la rationalisme qu'il rejette.
5/ Contre les autorités politiques
Enfin plusieurs philosophes réagissent également tout au long des quatre siècles
contre les autorités politiques. Cette dernière opposition nous conduit à
résumer le contexte politique de cette période par un mot : "révolutions".
II. RÉVOLUTIONS
S'il faut choisir un mot pour caractériser les quatre derniers siècles au point
de vue politique, celui de révolution s'impose. Cependant, avant d'énumérer les
"cinq révolutions" les plus importantes, il faut rappeler les trois formes du
nationalisme qui également ont eu une influence importante dans la dernière
partie de la seconde période. (PC3
voir alinéa 7 L'ordre médiéval bouleversé)
1. Le rôle des princes dans la naissance du nationalisme a été souligné.
Certaines populations d'Europe passent successivement sous le contrôle d'un roi
espagnol, puis d'un roi autrichien, puis d'un roi hollandais... Un mariage
princier décide à cette époque de la destinée d'un peuple et la première forme
de nationalisme est donc royale.
2. Le nationalisme populaire se développe surtout lorsque la République
née de la Révolution française est menacée par l'alliance des rois étrangers.
Ce nationalisme va entraîner des guerres successives en Europe et spécialement
entre la France et l'Allemagne et va culminer avec le fascisme d'Hitler en
Allemagne, de Mussolini en Italie, de Maurras avec l'Action française. Ce
nationalisme populaire manipulé par les dirigeants a entraîner deux guerres
mondiales, des dizaines de millions de morts et le déclin de l'Europe. Désormais
ce nationalisme est ébranlé par l'individualisme, le relativisme, le
régionalisme, et la mondialisation de l'économie.
3. Une troisième forme du nationalisme a été la réaction anticoloniale
des pays colonisés. En 1884, à Berlin, les européens s'étaient partagés
l'Afrique. La quatrième révolution que nous devons mentionner a été celle du
Tiers Monde qui pendant 30 ans après les indépendances a succombé souvent au
nationalisme du rejet de l'étranger colonisateur.
Dans ces pays également, le rejet systématique de tout ce qui semblait étranger
fait place à un jugement plus équilibré. Tout en essayant de garder leurs
valeurs propres les anciens pays colonisés adoptent dans divers domaines les
valeurs et les méthodes qui ont fait leurs preuves ailleurs.
LES CINQ RÉVOLUTIONS
Plus que le concept de nationalisme c'est l'idée de RÉVOLUTION qui a marqué les
4 derniers siècles du deuxième millénaire.
1/ LA RÉVOLUTION AMÉRICAINE est sans doute la plus importante dans "l'Histoire
de la Pensée". La déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776 considère
comme une vérité évidente "que les hommes ont été créés égaux et qu'ils ont reçu
de leur CRÉATEUR certains droits inaliénables parmi lesquels, la vie, la
liberté, la recherche du bonheur". Ce sont les Américains influencés par les
libertés anglaises qui ont apporté à l'humanité le progrès décisif dans la
philosophie politique : la séparation des pouvoirs. Nous y reviendrons en
étudiant TOCQUEVILLE.
2/ LA RÉVOLUTION FRANÇAISE de 1789 s'oppose aux excès du pouvoir royal. Elle
dégénère rapidement en anarchie, en terreur, en persécutions. Napoléon prend le
contrôle de la France et l'entraîne dans des guerres "glorieuses", une boucherie
de trois millions de morts.
3/ LA RÉVOLUTION RUSSE de 1917 couronne une succession de révoltes dans de
nombreux pays d'Europe. Elle s'oppose aux abus d'un autre pouvoir : celui des
propriétaires, des moyens de production de l'économie moderne. Le 25 décembre
1991, le discours de démission de M. Gorbatchev fait le bilan de cette troisième
révolution. Elle avait remplacé pour un tiers de l'humanité la domination de la
bourgeoisie par la dictature du Parti.
4/ La quatrième grande Révolution est celle DES PAYS COLONISÉS. Elle
s'étend sur de nombreuses années. Trois dates peuvent être choisies comme
significatives :
- 1947 Indépendance de l'Inde
- 1960 Indépendance de plusieurs pays
d'Afrique
- 1973 Indépendance des anciennes
colonies portugaises.
A partir de 1990 plusieurs pays d'Afrique rejettent le Parti Unique qui avait
pris le relais de l'exploitation coloniale.
5/ La cinquième révolution est la RÉVOLUTION EUROPÉENNE
de 1989 avec une différence radicale : l'emploi de la lutte non violente
enseignée à l'humanité par le plus grand homme du XXe siècle : le Mahatma
GANDHI.
Désormais des élections libres seront inévitables un peu partout dans le monde.
III. RÉDUCTIONS
Le rappel du contexte politique était nécessaire. Cependant une "Histoire de la
Pensée" doit surtout résumer ce qui caractérise les Philosophies. Le mot qui m'a
semblé s'imposer est celui de réduction.
Sans pouvoir dire s'il a prononcé ce mot, c'est une conférence de M. Brun que
nous avions invité pour un colloque de professeurs de philosophie à Fianarantsoa
les 8 et 9 avril 1991 qui m'a fait prendre conscience de cette tendance
dominante de la Philosophie moderne : elle réduit la Pensée à un rationalisme
étroit.
Dans l'hebdomadaire catholique malgache LAKROA du 5 mai 1991 un article intitulé
"la Modernité Contestée" disait ma découverte : "Avec Descartes, explique M.
Jean Brun nous assistons à une première réduction de l'homme. Alors
que l'homme auparavant se comprenait comme un drame, il est réduit
avec Descartes à un système de mesures allons plus loin à des mathématiques.
La nature était contemplée, respectée. Elle va désormais être mesurée, dominée,
exploitée, menacée de destruction. La prise de conscience de ce danger est
désormais de plus en plus répandue par le mouvement écologiste."
Cette conférence de M. Brun, ainsi que son livre "L'Europe philosophe" Stock
1988 nous invitaient à porter un jugement plus équilibré sur Descartes sur la
modernité et sur la malgachéité qui étaient le sujet de notre rencontre à
Fianarantsoa.
Descartes n'avait pas que des côtés positifs. Il n'avait pas seulement apporté
le "Discours de la méthode", il avait également opéré une première réduction de
la connaissance. Et on pouvait même caractériser les quatre siècles de
l'Histoire de la pensée entre 1600 et 1993 par ce manque d'équilibre, par cette
réduction naturaliste.
Après avoir contesté ainsi la Modernité, nous pouvions essayer de découvrir les
aspects positifs et négatifs des Traditions ancestrales de Madagascar ou
d'ailleurs. Toute culture nationale ou étrangère, ancienne ou moderne, celle des
érudits ou celle des illettrés nous apparaissant comme ayant des aspects
positifs et des aspects négatifs.
RÉDUCTIONS NATURALISTES ET SURNATURALISTES
L'aspect négatif de la majorité des philosophes européens de la Troisième
période c'est donc qu'ils réduisent la complexité du réel à un seul aspect alors
que les sagesses asiatiques et africaines sont plus équilibrées, plus intuitives.
Elles se prêtent moins à l'exposé didactique et sont donc trop méconnues.
En schématisant à l'extrême jusqu'à la caricature mais pour aider une première
mémorisation on peut choisir dix noms avec l'aspect auquel la réalité est
réduite.
- Pour Descartes tout se réduit aux
mathématiques.
- Pour Kant à la physique et au
devoir.
- Pour Hegel à l'Histoire collective
de l'Humanité.
- Pour Marx, l'homme se réduit à son
travail, à l'économie.
- Pour Lénine qui trahit Marx, il n'y
a plus que la lutte politique.
- Pour Nietzsche, c'est la création
artistique par laquelle l'homme peut devenir un dieu et écraser les autres.
- Comte ne connaît que la Science.
- Darwin explique tout par
l'Évolution.
- Sartre fait de l'homme une liberté
arbitraire.
- A l'opposé Lévi-Strauss réduit
l'homme à un produit par la culture.
Ces diverses réductions se disqualifient les
unes les autres et elles ont en commun de refuser toute Révélation Surnaturelle.
Par réaction, Pascal et Kierkegaard surtout succombent peut-être à la réduction
inverse, la réduction surnaturaliste qui consiste à minimiser les possibilités
naturelles de l'homme et à dire qu'il n'y a rien de valable en dehors de la foi
(ce qu'on appelle le fidéisme). (voir
PC1 deux excès
et
PC2 rejeter le fidéisme)
PLURALISME OU CACOPHONIE ?
La deuxième partie du titre général de cette Troisième Période caractérise le
monde contemporain par le mot PLURALISME (voir
TP12).
Cependant, plusieurs mois de séjour en Europe me font penser que si la
pluralité ou même la multiplicité des opinions présentées est indiscutable, elle
n'entraîne pas assez de dialogues attentifs mais une cacophonie qui provoque le
désarroi.
Plus que jamais, une présentation des diverses croyances, des diverses
philosophies, et de la théologie chrétienne, adaptée aux divers publics doit
être proposée.
Les chapitres qui suivent sont un regard parmi d'autres sur les
philosophies modernes et contemporaines.
suiteTPchap2
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