PC
Chap.7
-7-

 
L'ORDRE MÉDIÉVAL EN MORCEAUX  1300-1600
APOGÉE DE LA THÉOLOGIE MYSTIQUE
(Thérèse d'Avila)
 

 

 

 

Sommaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

sommaire


Un ami athée, professeur de philosophie, que j'ai revu avec joie après plus de 25 ans me disait son intérêt pour le premier auteur mystique que nous allons énumérer : Maître ECKHART.
Un prêtre soucieux d'être purement rationnel me reproche d'être trop ouvert dans cette "Histoire de la Pensée". Tous, je suppose, connaisse la recherche de Bergson qui découvre dans l'expérience mystique le témoignage vivant pour nous révéler le RÉEL, le vrai bonheur.

1. MAÎTRE ECKHART (1260-1327)
Dominicain de Cologne, il a écrit des traités théologiques où il reprend les formules classiques.
Ses sermons en allemand notés par des auditeurs emploient au contraire des formules originales qui sont proches du monisme panthéiste de "l'advaita" dont  nous avons parlé (PPchap2_5 - ontologie)
Il parle aussi d'une "pureté de l'Unité en Dieu au-delà de la Trinité..." Sans entrer dans ces discussions, nous pouvons tirer profit des réflexions citées dans le livre qui lui est consacré dans la collection des "Maîtres spirituels" (Seuil)
"Si je lui donne tout ce que je suis, il me donne tout ce qu'il est" "La volonté est parfaite quand elle est totalement désappropriée". "Toute  souffrance vient de ce que ton désir en te porte pas uniquement en Dieu". " C'est le signe d'un coeur encore faible qui d'être joyeux ou triste en raison des choses éphémères". "Il faut que ton respect de l'eucharistie ne soit pas moindre du fait que tu t'en approches fréquemment". Parmi les disciples d'Eckhart quelques noms : Jean Tauler, Henri Suso, Benoît de Canfield (qui préconise un dépouillement total y compris de Jésus), Fénelon, Schopenhauer, Hegel...

2. CATHERINE DE SIENNE (1347-1380)
Deuxième femme à être honorée du titre de "Docteur de l'Église" par l'Église catholique, cette dominicaine, stigmatisée et qui ne savait pas écrire, groupe des théologiens autour d'elle et réussit à persuader le pape de rejoindre la ville de Rome. On peut lire les textes qu'elle a dictés dans la collection "Sagesse chrétiennes". Pour exprimer son expérience d'union mystique, elle emploie une symbolique nuptiale qui a inspiré de nombreux peintre.

3. L'IMITATION DE JÉSUS CHRIST (anonyme fin XIVe - début XVe)
L'encyclopédie Universalis tome 9 p 778 signale que ce livret est le livre le plus édité et le plus traduit après la Bible ! malgré cette diffusion, certains peuvent penser qu'il n'a pas sa place dans une "Histoire de la Pensée" puisqu'il est anti-intellectualiste.
"Qu'avons-vous à faire des genres et des espèces ?...A quoi bon les disputes théologiques ?... Mieux vaut un pauvre ignorant... tant de chose dont la connaissance n'est d'aucune utilité..."
Ces quelques phrases des deux premiers chapitres le montrent bien.
Certes ce pessimisme concernant les études est un des déséquilibres de ce livret, qui a de nombreuses lacunes aux yeux d'un chrétien : il n'est jamais question d'Église, ni d'apostolat, ni de dévouement auprès des pauvres... Et bien sûr, ce "dialogue" entre Jésus et chaque chrétien individuel ne peut être compris par l'incroyant qui est encore à la recherche de ce qu'il va choisir pour devenir vraiment heureux...
Mais pour celui qui a déjà compris que "sans AMI, la vie n'est pas heureuse" et que "si JÉSUS n'est pas la PREMIER de tes amis, tu seras infiniment SEUL et (donc) triste". Ce petit livret peut devenir un des rendez-vous quotidiens comme il l'est redevenu pour moi après avoir été écarté pendant vingt ans.
Bien sûr, ce texte est incomplet, mais le point d'appui y est rappelé : une intimité amoureuse entre chaque personne et Jésus lui-même, ce qui entraîne un détachement incessant. Que de choses qui deviennent relatives à la lumières de cette lecture quotidienne toute simple !.

4. THÉRÈSE D'AVILA (1515-1582)
Mais sans attendre ce jour décisif, d'autres lectures peuvent lui faire comprendre que l'intimité avec Jésus ne s'oppose pas à l'influence apostolique.
L'exemple le plus clair de cette efficacité est donné par une espagnole qui se meut avec aisance aussi bien dans la vie mystique que dans les problèmes concrets de la vie quotidienne : THÉRÈSE D'AVILA.
Après une enfance pieuse, une adolescence rêveuse, une vie religieuse simplement normale, elle se convertit à une vie spirituelle intense en 1554 grâce à la lecture des Confessions d'Augustin et de l'Imitation et avec l'aide de conseillers franciscains, dominicains et jésuites.
En 1562, malgré d'innombrables difficultés et oppositions, elle fonde le petit couvent carmélitain réformé de Saint Joseph d'Avila et quinze autres monastères ailleurs.
Avec Jean de la Croix, elle lance la réforme du Carmel masculin.
Mais elle est connue surtout  par les textes qu'elle a écrits et qui font l'admiration de tant d'historiens et de philosophes comme BERGSON ou LEIBNIZ.
Puisque nous sommes en présence d'une forme de vie chrétienne exceptionnelle et qu'il s'agit d'une première initiation, quelques lignes suffisent pour donner une première idée des accents... et le goût pour ceux qui savent goûter !
1° Épistémologie
Une citation pour indiquer les limites des raisonnements dans la rencontre avec Dieu :
"Leur raison est encore très maîtresse d'elle-même et l'amour n'est pas assez fort pour les faire délirer", dit-elle de certains chrétiens trop raisonnables.
2° Christocentrisme
Pour ceux qui croient que la vie mystique n'a plus besoin de la médiation de Jésus, le texte du 15 octobre : "Dieu veut que nous tenions tout de cette humanité sacrée de Jésus... ne cherchez donc pas un autre chemin".
3° Éthique du bonheur
Même si Thérèse est l'exemple typique de la cinquième forme de notre amour envers Dieu, l'extase où la  personne humaine est absorbée en Dieu, tout le cheminement prend bien son départ dans la première forme de cet amour qui est le désir de bonheur, comme elle l'écrit dans les premières lignes de l'autobiographie.
"J'ai osé (par écrit) ordonner ma vie désordonnée. Voyant le martyre qu'enduraient les saintes, il me semblaient qu'elles ACHETAIENT bien bon marché le BONHEUR d'aller JOUIR DE DIEU et je DÉSIRAIS vivement de mourir ainsi". (Marcelle Auclair - La parole de Thérèse d'Avila - Desclée de Brouwer 1979)
voici seulement quelques lignes d'un autre texte où les diverses significations des mots "libre" et "liberté" sont évoquées et qui pourrait faire l'objet de toute une réflexion philosophique et théologique :
"Veuillez pour moi tout ce qu'il vous plaira de vouloir. C'est ce que je veux car tout mon bonheur consiste à vous contenter. Si au contraire, vous vouliez me contenter en m'accordant l'objet de mes désirs, je serais PERDUE.
Qu'un Autre, meilleur pour moi que moi-même règne, que je sois sa captive. Mon âme ne veut pas d'autre liberté. HEUREUX ceux qui sont liés par Dieu et ne peuvent s'en délier"
.
Malgré ce texte, il faut savoir que Thérèse rappelle que rien n'est jamais gagné. Voir le texte cité par le Père Marie Eugène de l'Enfant Jésus : "Je veux voir Dieu" ed. du Carmel 1949, p 134-135)
 

ESCHATOLOGIE
Enfin un texte peut nous montrer ce que peut être une pensée chrétienne sur la mort :
                    "je vis sans vivre en moi-même.
                     Dans mon espoir sans limites.
                     Je meurs de ne pas mourir,
                     Déjà je vis hors de moi.
                     Un long espoir désespère.
                     Dans la seule confiance
                     de mourir un jour je vis
                     car c'est vivre que mourir".

Cet écho de Philippiens 1/20-27 est cité par Marcelle Auclair p261
Enfin quelques lignes célèbres que l'on trouve rappelées dans d'innombrables lieux de prière partout dans le monde où les mots "rien", "tout", "seul", nous invitent à un choix radical.
                    "Que rien ne te trouble
                     Que rien ne t'épouvante
                     Tout passe
                     Dieu seul ne change pas
                     La patience triomphe de tout
                     Celui qui possède Dieu ne manque de rien
                     Seul Dieu suffit".

5. JEAN DE LA CROIX (1542-1591)
Le futur collaborateur de Thérèse d'Avila avait eu une enfance pauvre, avait étudié chez les jésuites et était entré au Carmel. Lorsqu'il introduit la réforme, ses confrères l'emprisonnent et le torturent ! C'est pendant cette épreuve qu'il compose des poésies d'amour de Dieu qui sont considérées, même par des non-chrétiens, comme des "sommets de la poésie amoureuse universelle". Il s'échappe et reprend sa collaboration avec Thérèse.
Voici quelques lignes proposées au pèlerin du Carmel de Lisieux
- "Je te l'ai donné pour frère, pour compagnon, pour maître, pour prix, pour récompense".
- "Rien ne contente notre coeur qui soit moindre que Dieu".
- "Si l'âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche davantage".
- "Là où il n'y a pas d'amour, mettez de l'amour et vous recueillerez de l'amour".
- "Une seule pensée d'un homme vaut plus que le monde entier. C'est pour cela que Dieu seul en est digne".

-  Le 14 décembre, Jean de la Croix nous indique une voie de connaissance. (Office des lectures)
-  Le 2e dimanche de l'Avent il rappelle où se trouve ce que Dieu nous dit. (Office des lectures)
-  Le 18e vendredi il s'étonne : "Hommes qui êtes créés pour de telles grandeurs, à quoi vous occupez-vous ? Triste aveuglement !" (Cantique spirituel)
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                           ***
Certes Jean de la Croix est exigent ! Mais c'est pour nous conduire au bonheur. Il regrette que certains s'arrêtent en chemin : "Ils se sont laissés aller à une petite attache et ils ont perdu leur allégresse".
Le symbole de la nuit montre qu'il ne s'agit pas d'une promenade. Le terme est le bonheur absolu.
                    "O nuit, toi qui m'as guidé
                     O nuit plus aimable que l'aurore
                     O nuit, toi qui as uni
                    L'Aimé avec son aimée
                    L'aimée en son Aimé transformé".

6. IGNACE DE LOYOLA (1491-1556)
Comme le montre suffisamment la lecture du 31 juillet, le fondateur des jésuites, lui aussi, répond à la question que nous avons posée dès les premières lignes de l'introduction générale "Que vais-je choisir pour devenir vraiment heureux ?".
"Jeune basque adonné aux vanités du monde avec un grand et vain désir d'y gagner de l'honneur", il est converti à l'occasion d'une convalescence.
Il compare le plaisir qu'il trouve dans les romans de chevalerie au bonheur qu'il trouve dans la vie du Christ ! Grand plaisir pour les premiers, mais lorsque par lassitude il les laissait, il restait sec et mécontent!
Au contraire, à la pensée de suivre Dominique et François, non seulement il trouve de la joie au moment même mais de plus, il restait content et joyeux après l'avoir abandonnée.
Il pèse cette différence, se met à réfléchir sur ce fait que certaines pensées le laissent triste, d'autres joyeux !
C'est de là qu'il tira ses premières lumières sur la diversité des esprits.

les "Exercices spirituels" constituent donc bien une "philosophie" c'est-à-dire une recherche du vrai bonheur mais avec un accent. Comme la lecture des Évangiles nous l'a rappelé au premier chapitre (PCchap1), celui qui a choisi Jésus comme Bonheur est engagé dans un combat !

Et c'est ce point qui caractérise le nouveau style de vie chrétienne inauguré à Paris le 15 Août 1534 par Ignace de Loyola et ses compagnons de la Compagnie de Jésus qui seront appelés "Jésuites".
Après avoir pris le temps de bien choisir, "d'élire" le vrai bonheur, un chrétien prend conscience qu'il devient un combattant.
    - La vie intérieure est perçue comme un combat où l'on comptabilise les victoires et les défaites.
    - Face au monde, un autre combat est livré. Il ne s'agit plus de se retirer du monde comme l'on fait les moines depuis des siècles, mais de le conquérir en ayant un regard optimiste sur ses valeurs !
    - Alors que les ordres monastiques étaient décentralisés, l'Ordre nouveau est centralisé à Rome. On sélectionne les candidats, leur formation est longue, leur intégration progressive avec un voeu spécial d'obéissance au pape (réservé à certains membres seulement).
    - Autre caractéristique : une disponibilité pour les oeuvres nouvelles. Cent ans après la fondation, 150000 élèves reçoivent dans les collèges jésuites du monde entier une culture humaniste et chrétienne !
    - Cette influence va susciter au long des siècles des débats violents dont nous devons mentionner les trois principaux : la querelle du rôle de la grâce et du rôle de la liberté qui oppose les jansénistes et les jésuites, la querelle des rites chinois que les jésuites dans leur tradition optimiste considèrent avec bienveillance mais qui sont condamnés de 1715 à 1938 et enfin la querelle des Réductions du Paraguay.
Les adversaires des Jésuites réussissent même à obtenir la suppression de l'Ordre de 1773 à 1814 par le pape !
C'est dans la tradition optimiste qui caractérise la spiritualité jésuite que le Père Teilhard de Chardin (1881-1955) a proposé une synthèse de la Science et de la Foi. Nous en reparlerons au Chapitre 9 de la Troisième Période (TPchap9)
On attribue la maxime suivante à Ignace de Loyola. Elle peut exercer la réflexion et peut-être guider l'action : "Confie-toi à Dieu comme si le succès de l'affaire dépendait totalement de toi et en rien de Dieu et cependant conduis toute l'action comme si toi tu ne faisais rien et Dieu seul tout". Il y a plusieurs paradoxes dans cette double maxime !!
En fait, la vie réelle et la vie chrétienne comportent souvent des éléments qui semblent irréconciliables dans la pensée mais qui doivent être maintenus si on veut être fidèle au réel... et aux évangiles.*

7. FRANÇOIS XAVIER (1406-1552)
Originaire de Navarre, François Xavier est à Paris à 18 ans pour y acquérir des diplômes; Pierre Favre le présente à Ignace de Loyola et il prononce les voeux avec eux le 15 août 1534.
Secrétaire d'Ignace à Rome, il est sollicité pour la chrétienté de Goa en Inde. Ses lettres à Ignace divulguées par l'imprimerie répandent l'ardeur missionnaire. "J'ai souvent eu l'idée de parcourir toutes les université d'Europe et surtout celle de Paris pour hurler partout d'une manière folle et pousser ceux qui ont plus de doctrine que de charité... De même qu'ils se consacrent aux belles lettres, s'ils pouvaient seulement se consacrer aussi à cet apostolat afin de pouvoir rendre compte à Dieu de leur doctrine et des talents qui leur ont été confiés. Beaucoup d'entre eux, bouleversés par cette pensée, s'entraîneraient à écouter ce que le Seigneur dit en eux. Oui, ils crieraient du fond de leur coeur : "Seigneur, me voici ! Que veux-tu que je fasse ? Envoie-moi n'importe où, où tu voudras même jusque dans les Indes".
lui-même part au Japon où des lettrés lui parlent de la Chine. Il meurt dans un îlot près de Canton aux portes de la Chine !

suite PC conclusion

Liens externes                                                                                                                     
fr.wikipedia.org/wiki/Maître_Eckhart
fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_de_Sienne
fr.wikipedia.org/wiki/L'Imitation_de_Jésus-Christ
fr.wikipedia.org/wiki/Thérèse_d'Avila
fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_la_Croix
fr.wikipedia.org/wiki/Ignace_de_Loyola
fr.wikipedia.org/wiki/François_Xavier