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Au Zaïre, au Burundi, au Rwanda, à l'île Maurice et surtout à Madagascar,
pendant 25 ans, j'ai pu découvrir un système de pensée encore très répandu
surtout en Afrique, mais aussi un peu partout dans le monde : "le relationnisme"
vitaliste.
On l'ignore trop souvent dans les diverses histoires de la philosophie car
cette sagesse a été transmise oralement. Toute "Histoire de la Pensée" doit en
montrer la valeur. Lorsqu'on parle de "Pensée", il ne faut pas s'en tenir à la
pensée écrite. Cette "PHILOSOPHIE AFRICAINE" est imprécise mais elle
comporte des aspects positifs qui justement manquent cruellement aux
intellectuels individualistes.
RELATIONNISME
J'ai façonné le mot "relationnisme" pour désigner ce système car on retrouve la
prédominance de la RELATION dans la réponse à chacune des cinq questions de la
philosophie. Cette culture est donc totalement opposée à l'idéologie
dominante des médias : l'individualisme.
1°
ÉPISTÉMOLOGIE VÉCUE ET RELATIONNELLE
La première question de la philosophie à été formulée ainsi "l'intelligence
humaine individuelle peut-elle atteindre le vrai ?"
Dans l'Afrique profonde, la réponse est : non, ce n'est pas un individu isolé
qui peut trouvé la vérité. Pour découvrir le vrai chemin, il faut s'en remettre
aux anciens, aux ancêtres, aux devins, aux traditions, aux coutumes, aux
proverbes, aux rites.
La vérité n'est pas une abstraction produite par un individu, elle est une
manière de vivre, transmise dans les relations. "Omba", "fomba" en malgache veut
dire "marcher avec les autres sur la même voie", coutumes.
L'épistémologie est "vécue" relationnelle... Les professeurs de philosophie
auraient intérêt à prendre modèle sur cette importance de la mise en pratique en
montrant comment ils vivent au lieu de jouer avec des théories.
L'épistémologie africaine a ses mérites même si elle a des limites.
2° ONTOLOGIE VITALISTE
La manière dont a été exprimée la deuxième question de la philosophie est un
piège pour celui qui veut exprimer les philosophies africaines. Car en demandant
"Qu'est-ce qui existe vraiment matière ou esprit ?", on "exige" un choix, on
suppose une "coupure", entre un monde spirituel et un monde matériel.
Or les cultures africaines ignorent cette coupure et pressentent qu'il y aura au
contraire "un seul grand flux vital" qui relie toutes les réalités entre elles.
"Aina" en malgache que l'on traduit par le mot "vie". En français, on désigne
ainsi une propriété de chaque être vivant. En malgache, au contraire, ce sont
les êtres vivants qui en sont que des éléments de la "Vie", qui est l'être
total. On peut parler d'un pan-vitalisme (du grec pan = tout, et du latin vita =
vie). Le mot animisme voulait dire également qu'il y a une vie, une force vitale
dans tous les être, y compris les être inanimés. Il y a un combat cosmique et
social entre les forces de vie et les forces de mort. A la source de ce flux
vital, il y a un dieu ou des dieux.
Comme l'a montré Pietro Lupo dans "Discours sur Dieu dans les contextes malgache
et africain" (B.P.S. AntsirananaMadagascar), certains commentateurs affirment
avec passion qu'il y a dans ces traditions, l'affirmation d'un Dieu unique et
créateur.
On peut aussi aussi avec autant de passion défendre la thèse inverse en
s'appuyant par exemple sur l'appel aux dieux des quatre points cardinaux,
dieu mâle, dieu femelle... Chaque anthropologue peut trouver des
"sacrificateurs" qui appuient son interprétation.
Les aspects positifs de ce pan-vitalisme sont actuellement redécouverts par le
mouvement écologiste qui veut sauver le grand Tout. Aspect négatif : ne pas
distinguer suffisamment le sacré et le profane (pas de mot pour désigner cette
partie de la réalité). Autre conséquence peut-être : une crainte diffuse devant
ce monde mystérieux de forces vitales capricieuses qu'il faut se concilier par
des rites. Un exemple : même si un fleuve déborde, il ne faut pas ouvrir
l'embouchure qui a été formée par le sable accumulé par les vagues de l'Océan.
Il faut laisser faire la "Nature".
3°
ÉTHIQUE SOLIDAIRE
La troisième question de la philosophie est également mal pose pour les cultures
africaines : "que vais-je choisir pour devenir vraiment heureux ?" Il n'y
a pas de choix à faire, mais des coutumes à observer. Il n'y a pas d'individu
qui va chercher son petit avantage égoïste mais des devoirs (ADIDY) à remplir
envers diverses communautés : la famille, le village.
Avant tout : éviter le malheur, éviter de nuire aux bonnes relations au moins
apparentes, éviter de rompre l'harmonie sociale (FIHAVANANA) qui est le bien
suprême car l'homme est "RELATION" (Ny "fanahi"no olona).
Le mal est donc tout ce qui nuit aux relations : jeter un mauvais sort, haïr,
envier, dire une parole brutale. Il ne faut donc jamais exprimer un avis qui
serait trop original...
On peut découvrir dans l'idée de personne deux aspects : l'autonomie et les
relations. Les cultures africaines insistent sans doute trop sur les relations
au point de ne pas donner assez d'autonomie aux personnes individuelles. Les
sociétés industrialisées insistent trop sur l'aspect de l'autonomie et oublient
la solidarité. Elles aboutissent à la solitudes de l'individualisme et le nombre
de suicides augmentent sans cesse.
4° POLITIQUE CLANIQUE
En demandant "quelle est la moins mauvaise organisation de la société ?"
on laisse entendre que l'on peut choisir et modifier l'organisation de la
société.
Dans les cultures africaines traditionnelle, au contraire, l'organisation
clanique est perçue comme un ordre que l'on ne peut remettre en question. On
fait partie d'un clan. Et il ne faudrait par croire que le chef du clan
peut imposer ses caprices. Tout au contraire, son rôle est de deviner sur
quels points le consensus le plus unanime pourra se faire pour ne pas rompre
l'harmonie du clan.
Inconvénient de cette procédure : une lenteur incroyable dans les évolutions.
Avantage : une douceur tout aussi incroyable dans les relations sociales. Sur ce
point de l'organisation politique comme sur les autres une révolution est en
cours. Puisqu'ils désirent profiter des avantages d'une économie moderne, les
Africains vont devoir apprendre à dépasser les solidarités claniques pour faire
appliquer un état de droit, avec l'alternance des majorités successives tout en
gardant le respect des minorités pour garder un certain consensus.
5° LES MORTS, NON PAS LA MORT
Pour annoncer la réponse africaine à la dernière question de la philosophie, je
ne pouvais mettre le mot "eschatologie" car le mot grec "eschata" signifie
les derniers événements. Or la mort n'est pas la fin. De même la question
"qu'y a-t-il au-delà de la mort ?" ne convient pas car les mots "au-delà"
supposent une coupure, un mur, une barrière.
Or le relationnisme vitaliste croit au contraire à des relations incessantes.
Non seulement il n'y a pas séparation mais chez certains il y a confusion. Tout
événement un peu anormal est interprété comme le résultat d'une intervention
négatives des ancêtres qui son mécontents parce qu'on a modifié une coutume,
enfreint un interdit.
Cette conviction va provoquer une activité religieuse considérable faite de
"supplications" plutôt craintives et d'une soumission fataliste devant les
malheurs qui ailleurs susciteraient une recherche, un effort de maîtrise de la
nature.
Pour répondre donc à la question de la mort, il faut donc employer des mots qui
signifient une fois de plus les RELATIONS. Celui qui meurt rejoint les
ancêtres, il se prolonge dans ses enfants qui gardent une relation avec lui,
même si cette RELATION est transformée par les rites de l'"ancestralisation".
Il semble que les ancêtres dépendent aussi de leur descendance car si jamais il
n'y a pas de descendance, la question se pose : Les ancêtres eux-mêmes ne
vont-ils pas se "dissoudre" progressivement ? C'est ici peut-être que se situe
le devoir de procréer !
UNE HYPOTHÈSE
Ce premier système de pensée que certains auteurs décrivent d'une manière
incomplète sous l'étiquette "d'animisme" est sans doute la sagesse la plus
ancienne, la plus commune et encore de nos jours la plus répandue. Car la
majorité de ceux qu'on appelle hindouistes, bouddhistes, musulmans ou chrétiens,
n'ont peut-être pas adopté en profondeur les convictions que nous allons
systématiser au sujet de ces croyances et de cette foi. Leur vie profonde est
peut-être influencée par ce "relationnisme vitaliste". Ils croient ce que les
anciens ont dit. Ils se pensent comme des éléments d'un ensemble vivant.
Toute leur vie consiste à remplir des obligations. Ils respectent l'harmonie
sociale. Et leurs rites mortuaires n'on pas été radicalement transformés par
leur croyance officielle. Ce n'est là qu'une hypothèse, elle m'est venue en
regardant les enterrements chez les Européens officiellement chrétiens et en
réfléchissant sur les rites taoïstes du Japon...
UN AVENIR ?
Le relationnisme vitaliste a-t-il un avenir ? Tel prêtre catholique est persuadé
que ce système de pensée est le plus grand trésor de l'humanité.
D'autres pensent qu'il n'a aucun avenir car il va être submergé par la vague de
l'individualisme consumériste diffusé par la télévision. Encore faudrait-il
apprécier le pourcentage des hommes qui regardent la télévision ?
On peut penser que tous les aspects positifs du relativisme vitaliste peuvent
être sauvés en s'intégrant dans un personnalisme communautaire s'inspirant de la
révélation évangélique.
PHILOSOPHIE AFRICAINE ou AFRICAINS PHILOSOPHES
Mentionnons ici le débat lancé par le philosophe camerounais Marcien TOWA.
Le mot philosophie d'après lui doit être exclusivement réservé pour désigner une
pensée libre et personnelle qui rejette toutes les croyances ancestrales et
toute foi religieuse. Il dénonce la confusion entre les mots culture et
philosophie. Il appelle cette confusion l'éthno philosophie.
D'après lui il n'y a pas de philosophie africaine ni de philosophie grecque.
Chaque africain comme chaque grec peut devenir philosophe
En fait, le mot philosophie a reçu diverses significations plus ou moins larges.
Si TOWA a raison de nous encourager à penser d'une manière personnelle, son
rationalisme HÉGELIEN mène à une impasse (TP7).
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